epilogue-fin-point-de-rupture

Point de Rupture, Épilogue

Et alors que les premiers rayons du soleil apparaissent à l’horizon, ils se tiennent l’un en face de l’autre. « C’est toi ». Dans un souffle. Ils s’avancent. Maladroits, confus, hésitants, mais sans se quitter des yeux. Enfin, ils sont réunis.

– Chapitre XL

Recyclage.

Elle ne franchit plus beaucoup le seuil de son appartement. Elle passe pratiquement tout son temps chez Nathan avec sa petite calico. Au fil du temps, des affaires se sont accumulées là-bas. Ça a commencé par une brosse à dents, puis une serviette de bain. Des vêtements, des affaires pour les cours. Et bien sûr Sinicat, qui passe la plupart de ses nuits aux côtés de Ginger.

« Autant que t’emménages chez lui à ce stade, non ? »

C’est ce que lui ont dit la plupart de ses proches. Et à bien y réfléchir, ils avaient raison. À chaque fois qu’elle était chez elle, c’était si bref qu’elle ne prenait pas le temps de faire des courses, donc elle mangeait n’importe quoi depuis un quelconque fast-food à côté. Et les bons petits plats de Nathan lui manquaient, ces plats qu’il lui apprenait à faire. Et le plus souvent, elle avait oublié quelque chose d’important chez son petit ami. Son shampoing, ses chaussures préférées, et même son ordinateur portable, une fois. Non, vraiment, il n’y avait plus aucun intérêt à payer un loyer pour un lieu qu’elle n’habitait plus. Et comme en plus, il était en difficulté depuis qu’il était repassé à vingt heures par semaine au bar, autant l’aider en divisant le sien par deux. C’était logique. Alors elle a résilié le bail.

C’est pourquoi aujourd’hui, elle fait encore une fois le tri dans ses affaires. Il y a la place chez lui mais elle ne voulait pas tout emmener. Elle va revendre son lit et quelques autres meubles, donner ou recycler les vêtements qu’elle ne porte plus… Sa tante est venue l’aider, et même si elle est affolée par la quantité de livres dans sa bibliothèque, elle n’a pas rechigné à la tâche.

Le plus gros est fait. Les meubles ont été pris en photo, démontés et chargés dans la voiture de sa tante, qui va les rapporter chez elle le temps qu’ils trouvent des acheteurs. Les cartons sont tous dans l’entrée et elles font le ménage consciencieusement, presque prêtes pour l’état des lieux. Accroupie dans la douche, plissant le nez à cause de l’odeur du vinaigre blanc, elle discute avec sa tante qui est occupée à nettoyer son miroir.

« Je suis contente que tu emménages avec lui, tu sais ?

– Oui, tu me l’as déjà dit. Six fois. »

Anja rit en reposant son torchon.

« D’accord, je radote. Mais c’est vraiment quelqu’un de bien, ça se voit. Tu l’as bien trouvé.

– Bah, vu que c’est un de mes romans préférés qui nous a réunis, je suis d’accord. On a eu une rencontre plutôt originale.

– Ça, c’est sûr. »

Lyla rince le bac de douche et s’éponge le front en se relevant, épuisée d’être restée penchée si longtemps. Ça, c’est fait. Plus que l’aspirateur, puis le produit…

Elle s’éloigne pour faire la chambre. Comme sa tante vient de parler de Nathan, elle repense au soir où elle le lui a présenté. Il était complètement stressé, le pauvre. Mais Anja l’a rapidement mis à l’aise. Tous les trois, ils se sont fait un petit barbecue dans le jardin, le cadre idéal pour se détendre. Il avait choisi une excellente bouteille et préparé un bon dessert, il n’en fallait pas plus pour que sa tante l’adopte immédiatement.

Avant qu’il ne reparte, elle lui a dit qu’il faisait partie de la famille. Et Lyla le connaît bien, elle sait qu’il a failli pleurer à ce moment. Sa tante ne connaît pas les détails de son enfance, mais elle a bien remarqué qu’il n’avait pas été insensible à cette déclaration. Elle lui avait même proposé de fêter Noël avec eux s’il était disponible. Il n’est pas sûr de vouloir, lui qui s’est habitué à sa solitude, mais il l’a remerciée pour la proposition, ému.

C’était mémorable.

L’appartement est propre. Elle ferme à clé, songeant que c’est peut-être la dernière fois qu’elle fait ce geste. Elle ne reviendra que pour l’état des lieux.

Les derniers cartons en main, elles descendent les marches tout en discutant. Et en bas de l’immeuble…

« Il est arrivé. »

Elle est toujours aussi heureuse à chaque fois qu’elle l’aperçoit, elle se jetterait à son cou si elle n’avait pas autant de choses dans les mains. Mais elle se contente d’un baiser et de le laisser lui faire un bref câlin, ravie.

« Tiens, mets ça où tu veux. »

Il ouvre le coffre et le chargement de la voiture de Setsuo commence. Anja dépose le sien à son tour avant de le saluer :

« Comment ça va, Nathan ?

– Oh ben, ça va… »

Lyla s’éloigne pour aller chercher les cartons suivants dans le hall, les laissant parler. Ils s’entendent bien, c’est sûr, et on peut dire que son premier contact avec elle a été bien meilleur qu’avec Morgan. En même temps, ce n’était pas vraiment difficile…

Au bout de quelques minutes à peine, la voiture de Setsuo est chargée. Et comme elle est garée en double file, il ne faut pas tarder.

« Bon, on va y aller. Merci encore de m’avoir aidée.

– C’est normal. Bon emménagement, ma Lili.

– Passe quand tu veux pour visiter, propose Nathan. Tu pourrais rester boire un coup, ou manger…

– Oui, il cuisine très bien.

– J’avais cru comprendre ! »

Ils rient tous les trois et se disent rapidement au revoir. Tout en montant dans la voiture, elle songe au fait que c’est une nouvelle vie qui commence. Oui, elle vivait déjà pratiquement chez Nathan. Mais le pratiquement change tout. Emménager pour de vrai, payer le loyer, les courses et les factures ensemble, c’est différent. Pour autant, ce n’est pas vraiment effrayant, sauf…

Est-ce qu’il veut vraiment d’une fille qui a peur de coucher avec lui ?

« Je suis trop content qu’on le fasse pour de bon.»

Elle lève les yeux vers lui, vers son sourire radieux puis ses yeux pétillants.

Oui, c’est ce qu’il veut.

« Moi aussi… »

Il s’arrête à un feu rouge, tapant des doigts sur le volant en rythme avec la chanson qui passe à la radio. Puis son sourire s’efface légèrement, alors qu’il tourne la tête à l’arrière, vers les cartons. Ah, elle sait ce qu’il va lui demander.

« Et… est-ce que t’as pris une décision, par rapport à la jupe ? »

Elle regarde par la fenêtre et soupire.

« Ouais. Elle part au recyclage. »

Sur le cœur.

Il tient le coup, pour l’instant. Il ne peut pas dire que cette formation est de tout repos. Il l’a commencée il y a quelques mois déjà, après que Lyla a terminé la sienne. Elle a trouvé un travail non loin des rives de l’Orène, ce qui les arrange bien tous les deux. La sienne est à distance comme prévu, cumulée à ses vingt heures par semaine au bar. Il s’en sort à peu près. Il arrive à rendre tous les projets dans les temps, à valider tous les modules, et il assimile les nouvelles connaissances plus rapidement qu’il ne le pensait.

« C’est fou, avait-il dit à Lyla. Quand j’étais au lycée ou en droit, je devais relire tous mes cours des dizaines de fois sinon je retenais rien, et tant que j’avais pas quasiment fait une nuit blanche avant un examen, j’avais l’impression d’avoir rien révisé. J’avais beau avoir la meilleure moyenne, je me sentais jamais à la hauteur. »

Lyla avait réfléchi un moment avant de répondre, imperturbable :

« Ouais, mais c’est normal. C’est différent. À cette époque, t’étudiais pas des sujets qui te passionnaient, à part tes matières préférées au lycée, peut-être. Là, t’es déjà intéressé, et tu sais que ça mène à un métier qui t’intéresse aussi. Et surtout… tu le fais pour toi. »

Je le fais pour moi.

Cette phrase lui reste en tête, depuis. Il y pense à chaque fois qu’il ne comprend pas quelque chose et qu’il se met à stresser. Quand il se sent comme enfermé, piégé, comme s’il manquait d’air et que son cœur allait exploser à tout instant. Qu’est-ce que ses parents diraient ? Qu’ils savaient bien qu’il n’arriverait jamais à rien, qu’il n’était pas à la hauteur ? Tu ne le fais pas pour eux.

Il y pense aussi à chaque fois qu’il lui arrive de procrastiner, de ne pas trouver le courage d’ouvrir ses documents pour continuer son projet. Fais-le pour toi.

Il y pense quand il voit Lyla rentrer de son travail alors qu’il doit partir au bar. Il en a assez de vivre en décalé par rapport à elle, de ne pas la voir autant qu’il le voudrait. Fais-le un peu pour elle, aussi.

Oui, le bar a été et est toujours une expérience fantastique. Ses patrons ont toujours été respectueux, voire amicaux envers lui. Jamais de remarque inutilement blessante ou infantilisante, jamais de reproches déguisés lorsqu’il se mettait en arrêt, au contraire. Ils s’inquiétaient pour lui, sincèrement, et ils s’intéressaient à ses projets et à ses passions. Puis en dehors d’eux et de ses collègues, le lieu lui a permis de rencontrer tout un tas de gens, de se sociabiliser durant les périodes où il en avait le plus besoin. Il l’a aidé à assumer sa bisexualité malgré le milieu homophobe dans lequel il a grandi. À ne pas avoir honte de le dire, en particulier à ses amis qui n’en savaient rien alors qu’il avait réalisé son attirance pour les garçons à la fin du lycée. Ils avaient bien réagi. Bien sûr, à l’époque, il ne savait pas que Quentin ne partageait pas les opinions de ses parents, que Setsuo se définissait comme pansexuel, que même Roman allait bientôt sortir du placard. On dit souvent que l’on s’entoure de gens qui nous ressemblent, et cette phrase est particulièrement vraie dans son cas. Alors, pour tout cela, il est vraiment heureux d’avoir travaillé dans cet environnement.

Mais… Il est fatigué. Le bar l’a épuisé. C’était un rythme effréné, sans fin. Partir de chez lui à dix-sept heures, rentrer à deux ou trois heures du matin, cinq nuits par semaine. Courir partout, se forcer à mémoriser parfois cinq ou six commandes d’un coup, peu importait son état de fatigue. Nettoyer les verres renversés ou brisés en vitesse avant que quelqu’un ne se blesse, et les autres catastrophes des clients qui ont eu… les yeux plus gros que le foie, si on peut le dire ainsi. Dans de plus rares cas, évacuer par la force quelqu’un en état d’ébriété instable, devenu agressif voire violent. Puis enfin, la fin de la soirée. Une fois que les consommateurs avaient compris qu’il était l’heure de fermer, enfin, le silence, la musique coupée. Il pouvait cesser d’être en alerte, de veiller constamment sur les quatre coins de la salle. L’heure de tout remettre en place : les verres, les pichets, les aliments. Les tables nettoyées, les chaises posées dessus, le sol balayé puis lavé. Rentrer, passer le t-shirt du bar à l’eau chaude et à la lessive en poudre en vitesse et mettre celui de rechange dans son sac en prévision du lendemain. Se doucher rapidement et s’écrouler dans son lit. Pour ne parfois même pas réussir à dormir.

Il ne sait pas combien de temps il aurait pu tenir encore s’il ne s’était pas lancé dans cette formation. En tout cas, il est ravi d’être passé à vingt heures par semaine. Même si c’est plus difficile financièrement, il ne regrette pas. Je le fais pour moi.

« Nan mais je le crois pas ! »

Il se tourne vers Lyla, curieux.

« Qu’est-ce qui t’arrive ?

– J’ai demandé à ma tante si je pouvais passer à la maison dimanche après-midi. Elle me sort qu’elle peut pas, et tu sais pourquoi ? »

Amusé, il caresse la tête de Stormy.

« Non, dis-moi ?

– Parce qu’elle prend le thé avec la tienne. Nan mais, Nath, on a formé un vrai duo de commères depuis qu’on les a présentées. C’est pas possible, elles arrêtent pas ! »

Nathan éclate de rire, peu surpris.

« C’est vrai qu’elles étaient faites pour s’entendre, ces deux-là. »

Estelle… Il est vraiment très heureux de l’avoir recontactée. Il la revoit aussi souvent qu’il le peut pour rattraper le temps perdu. Ils ont même prévu de se faire un petit voyage un de ces jours. C’est agréable parce que leurs échanges sont devenus plus naturels, plus chaleureux qu’avant. Avec elle, il peut parler de tout, il n’a plus de retenue. Elle n’a pas tiqué lorsqu’il a évoqué son attirance pour les hommes, lui a posé des questions sur les soirées drag shows de son bar, et surtout… elle a tout de suite adoré Lyla. Il se souvient qu’à la seconde où ils avaient franchi le seuil de sa maison tous les deux, ses yeux s’étaient posés sur la chevalière à son doigt. Et elle avait souri, amusée.

Il se laisse aller en arrière contre son oreiller. Stormy s’étale sur lui de tout son long en ronronnant à plein régime, et Lyla ouvre un énième bouquin, allongée sur le ventre et les jambes relevées. Il ferme les yeux.

C’est vrai, il est heureux d’avoir retrouvé Estelle. Mais du côté de ses parents et de sa sœur, rien n’a avancé. Malgré les mots de son père dans le jardin le jour où il est allé les voir, il ne s’est toujours pas excusé. Et ça fait des mois, tout ça. Ça et… et sa sœur, qui n’est pas non plus revenue vers lui. Dire qu’ils semblaient enfin prêts à faire avancer les choses… Il le savait, qu’il ne devait rien attendre d’eux. Pour autant, il n’a pas pu s’empêcher d’y croire. Ils avaient l’air sincère à cet instant. Mais apparemment, admettre leurs erreurs, demander pardon est au-delà de leurs forces. Peut-être que c’est temporaire, oui. Peut-être qu’ils finiront par y arriver, mais il ne doit pas espérer, il ne doit rien attendre d’eux. Il doit se préserver, c’est le plus important.

De toute façon, qu’est-ce qui pourrait bien se passer ? Il ne pourra jamais avoir de relation normale avec eux. Il ne pourra jamais avoir une discussion aussi banale soit-elle, sans ressentir de tension, sans sursauter à chaque fois que son père élèvera même un tout petit peu la voix. Il ne pourra jamais leur parler de ses projets, de ses passions sans avoir l’impression qu’ils le méprisent profondément, qu’ils vont à tout instant lui dire qu’il n’a aucun talent et qu’il leur fait honte. Et par-dessus tout, il ne pourra jamais leur pardonner ce qu’ils lui ont fait. Ça a été trop violent et ça a duré trop longtemps pour qu’il l’envisage. Ils l’ont brisé.

Malgré tout, il y pense souvent. Il se demande encore s’ils vont revenir vers lui, s’excuser pour de vrai, et en particulier… sa mère. Il se souvient encore de son expression figée lorsqu’elle est venue lui rendre son téléphone. Il ne pourra jamais oublier ça. Il sait qu’il ne doit pas trop en attendre d’elle, il le sait bien. Il a plein d’autres choses dans sa vie, infiniment plus agréables. Il y a Lyla, Stormy, sa formation, ses projets, la peinture… Chasse-la de tes pensées. Il y a les gars, bien sûr. Quentin, Setsuo, Roman, Léo, les soirées mémorables avec eux, les vacances dans la résidence secondaire des parents de Léo… Mais son regard…

Il tressaille et rouvre les yeux. Il n’y a rien à faire, elle revient sans cesse. Malgré tout ce qu’il a vécu, tout ce qu’elle lui a fait, il ne peut s’empêcher de se demander si un jour, elle parviendra à lui dire ce qu’elle avait sur le cœur.

À la hauteur.

Elle déteste le voir comme ça. Il a le moral à zéro. Il ressasse, rumine et surtout, il culpabilise, comme s’il avait quoi que ce soit à se reprocher. Allongé en boule dans son lit, il caresse Stormy avec des gestes lents, le visage éteint et les yeux rouges. Du moins, il était comme ça quand elle a quitté la pièce deux heures plus tôt. Elle doute qu’il ait bougé.

Il était bien parti, pourtant. Il avait l’air motivé quand il a créé le compte Instar, quand il a pris en photo ses plus belles œuvres, quand il s’est filmé en train d’en réaliser une. Jusqu’ici, tout semblait bien aller. Puis, au moment de mettre en ligne, il s’est mis à paniquer. Il a tout annulé. Il n’a plus touché au compte et il n’a quasiment pas décroché un mot depuis. Du moins, après lui avoir dit toutes ces choses qu’elle déteste entendre.

« Et si ma sœur et mes parents tombaient dessus ? Ils vont me dire que j’ai aucun talent…

– Mais Nath, tu crois vraiment qu’ils te reconnaîtraient, même si ça arrivait ? Tu comptes pas montrer ton visage, ni rien révéler de toi… Au pire, les gens verront que tes mains. C’est pas suffisant pour t’identifier, ça… »

Elle ne savait pas si cela l’avait convaincu. Puis il avait continué :

« Mais imagine si tout le monde déteste ce que je fais ? Si les gens qui me complimentaient le faisaient que par pitié ?

– Je t’ai jamais complimenté par pitié, d’accord ? Et je doute que les gens qui prennent le temps de commenter le fassent par pitié. Nath, t’as du talent. Les photos de tes peintures, et les vidéos des procédés… C’est typiquement le genre de posts qui me font arrêter de scroller pour regarder et mettre un j’aime, même si je connais pas la personne ! Je serai pas la seule à le penser, j’en suis sûre ! »

Il n’y avait rien à faire, il avait réponse à tout.

« Je crois que la moindre critique me tuerait, Lili… »

Qu’est-ce qu’elle aurait bien pu répondre à ça ? C’était sans doute vrai. Il n’était pas prêt. Et est-ce qu’il finirait seulement par l’être ?

Elle soupire en reposant son roman. Elle n’arrive pas à se concentrer dessus, de toute façon. Et la critique qu’elle devait poster en ligne, ça attendra. Se lancer sur ce compte Instar en parallèle avec Nathan aurait été bien plus amusant, mais il n’est pas prêt. Et à ce sujet, il faut qu’elle retourne le voir parce qu’elle a cogité.

Elle toque doucement à la porte puis finit par entrer, sans réponse. Il est toujours dans la même position mais il a les yeux clos et reste complètement immobile. Elle devrait le laisser dorm…

« Hey. »

Il a ouvert un œil et se remet à caresser Stormy, qui s’étire en bâillant.

« Je t’ai réveillé ?

– Je somnolais, c’est pas grave.

– D’accord… »

Elle le rejoint à pas feutrés, réfléchissant à la façon dont elle va lui dire ce qu’elle a en tête. Mais il la devance, l’air toujours aussi déprimé :

« Je suis désolé… Pour ce que tu m’avais offert. Le trépied flexible, les spots, c’était une super idée. Je gâche tout…

– Tu gâches rien, Nath… Ça peut servir pour plein d’autres trucs. Franchement, si on part en vacances quelque part, je serai contente d’avoir un trépied qui se tord pour prendre les meilleures photos, pas toi ?

– Moui… »

Elle lui a arraché un sourire. Elle est sur la bonne voie. Autant se jeter à l’eau…

« Et tu sais, je pensais à quelque chose…

– Hm ? »

Elle s’attache les cheveux, les yeux au plafond. Elle espère qu’il le prendra bien.

« Et si tu le faisais quand même, ce compte, mais en privé ?

– Pourquoi faire ?

– Pour… voir l’effet que ça te fait de voir ton travail en ligne, sans avoir la pression des potentiels commentaires.

– Mais voir zéro j’aime partout, zéro personne qui le suit, ça fout la pression aussi, non ?

– Ben, tu me laisses le suivre et te mettre des j’aime ? Et quand tu te sentiras prêt… tu l’ouvres pour tes amis les plus proches, un par un. Puis des personnes dont t’es moins proche, comme Noémie, Rafael… Et peut-être que tu finiras par avoir assez confiance pour le rendre public, au bout d’un moment ? Puis… même si c’est pas le cas, au moins le compte existera. Et tu pourras te dire que tu l’as fait. »

Il reste muet, réfléchissant, puis hausse les épaules.

« Vu comme ça… Ouais, ça vaut peut-être le coup d’y réfléchir… »

Au moins, il reprend des couleurs. Elle est soulagée :

« Bon… et si en attendant, j’allais nous préparer les petits burgers que je rêve de faire depuis qu’on a fait les courses, là ?

– Ça, c’est une putain d’idée… Excuse mon vocabulaire, mais ça me tente. Je vais t’aider. »

Enfin, il sourit pour de vrai. Et il s’étire à son tour, se recoiffe et se lève. Il garde la tête basse malgré tout, plongé dans ses pensées, mais il a l’air d’aller mieux.

Et il garde cet air préoccupé tout le long de la préparation de leur repas. Il est toujours aussi efficace et attentif lorsqu’elle lui parle, mais il semble en pleine réflexion. Jusqu’à ce que, d’un coup, au moment où il coupe le feu sous la poêle remplie de tranches de bacon, il lève brusquement la tête, un large sourire s’étirant sur son visage. Cette expression, elle la connaît bien, il l’a souvent avant de se mettre à peindre. C’est bon signe.

« Tu viens d’avoir une illumination ? »

Il hoche la tête tout en saisissant sa spatule, confiant.

« J’ai une idée de projet. Pas… pas forcément par rapport au compte Instar, mais pour la peinture.

– Eh ben, c’est toujours ça alors. C’est quoi?

– Je… je préfère rien te dire. Et rien te montrer tant que je l’aurai pas fini. Faut encore que j’y réfléchisse un peu mais… mais ça pourrait être vraiment cool.

– OK, je patiente. Tant que je te vois retrouver la forme, ça me va. »

Il hoche la tête, les yeux pétillants.

« T’y es pas pour rien… Bon, en attendant, faut finir ces burgers. J’ai la dalle, maintenant que ça va mieux.

– Excellente nouvelle. »

C’est bon, il est de bien meilleure humeur. Et le repas se déroule dans une bonne ambiance, Stormy à leurs pieds, qui tente de mendier quelques bouts de viande par-ci par-là.

Son assiette terminée, il la laisse monter sur ses genoux pour lécher les restes tout en la fixant d’un air attendri, la main dans la fourrure si dense de son cou. Il est apaisé, elle le sent. Ses gestes se font plus lents, il ne se passe plus constamment la main dans les cheveux et il respire doucement. Comme il est absorbé par la calico, elle l’observe.

En ce moment, ses cernes sont de retour. Et depuis quelques jours, cette barbe qu’il déteste tant à cause de son irrégularité, qu’il rase scrupuleusement d’ordinaire, recommence à pousser sans qu’il ne s’en soucie. Ça et le col de sa chemise qui est de travers… Tout un tas de détails sur lesquels il est intransigeant d’habitude. Quand elle l’a connu, il était obsédé par son apparence physique. Pas un cheveu qui dépasse, toujours des vêtements assortis et soigneusement choisis, il ne quittait jamais son appartement sans s’appliquer un peu de produit anti-cernes et se regarder une dernière fois dans le miroir de l’entrée. Il avait besoin, pathologiquement besoin d’être parfait en tous points. Qu’est-ce qu’il a changé, depuis…

Et c’est drôle parce que ça ne lui déplaît pas, qu’il se laisse un peu aller. Elle le trouve toujours aussi beau, de toute façon. Et quelque part, le voir négliger ces détails… cela la rassure. C’est bien le mot. D’une part, parce que ça prouve qu’il se détend avec elle, qu’il ne ressent plus le besoin d’être irréprochable, aussi bien physiquement que dans ses actes et ses paroles. Maintenant qu’il ne s’efforce plus d’être aussi lisse, il se laisse aller devant elle, il blague et rit plus facilement, il lui montre peu à peu sa vraie personnalité et elle adore la découvrir. Oui, mais… il y a aussi une tout autre raison.

Parce qu’elle se souvient de sa première impression de lui. Elle se rappelle s’être demandé ce qu’il pouvait bien lui trouver, lui qui était aussi beau, bien habillé, charmant, parfait sur tous les aspects… C’est vrai, il lui plaisait quand il était comme ça, avec ce charisme et cette apparente confiance en lui qui frôlait l’insolence. Il lui plaît encore plus à présent. Et ce n’est pas seulement parce qu’il a l’air d’être plus heureux comme ça. C’est aussi parce qu’elle, elle se sent à la hauteur. Aujourd’hui, elle sait ce qu’elle aime chez lui, mais elle sait aussi ce qu’il aime chez elle. Et ça fait toute la différence.

Lui offrir.

Il adore ce qu’elle devient. Il a peut-être renoncé à cette idée de compte Instar public, mais pas elle. Elle a créé le sien, sur lequel elle parle de littérature. Elle a fait sa toute première critique sur Déjà l’aube, bien entendu, et n’a pas arrêté depuis. Des fois elle se filme, utilisant le trépied et le spot lumineux qu’elle lui avait offerts à son anniversaire. Il admire son courage, à se montrer comme ça sur Internet pour parler de sa passion, sans avoir peur du jugement et du regard des autres. Surtout que c’est une fille, et il sait que malheureusement, celles-ci prennent bien plus de commentaires sur leur physique, en bien comme en mal. Et souvent de la part d’hommes. Il n’a pas envie que quelqu’un la blesse. Mais pour l’instant ça n’arrive pas, et elle garde son entrain et sa motivation. Tant mieux.

Elle continue la danse aussi, bien sûr. En dehors de ses cours, elle pousse les meubles de la chambre contre les murs pour s’entraîner. Parfois, elle lui demande de danser avec elle. Ils remettent les chansons de leur premier rencard, ou de nouvelles pour inventer des chorégraphies ensemble. Il retrouve cette alchimie du premier jour, cette joie dans son regard, cette simplicité dans ses gestes et ce naturel dans leurs mouvements. 

Les autres fois… Il profite de savoir qu’elle est dans la chambre pour un bon moment pour peindre, parce qu’il a vraiment besoin qu’elle reste à l’écart de ce projet tant qu’il ne sera pas terminé. Il a sauté le pas, il a acheté une toile pour la première fois de sa vie. Une toile en coton afin que l’aquarelle imprègne bien, sous les conseils du vendeur. Elle n’est pas très grande : en format paysage, elle fait un peu moins de la largeur d’une porte. Mais il faut bien commencer quelque part.

Il a posé le premier trait quelques jours après leur discussion au sujet du son compte Instar. D’abord une esquisse au crayon à papier, tout en s’efforçant de rejeter les pensées parasites qui l’assaillaient à chaque fois qu’il sortait son matériel. Ce que diraient ses parents, sa sœur… Il ne devait surtout pas se focaliser là-dessus. Il a tenu bon. Il a poursuivi son œuvre et l’a achevée la veille, pile à temps pour l’anniversaire de Lyla. Et étrangement, pour la première fois, il n’a pas vraiment de doute sur sa future réaction. Il la connaît bien, et il sait qu’elle va aimer.

L’idée de sa petite amie était bonne et il l’a suivie. Il a commencé à poster ses peintures et a directement autorisé l’accès au compte à Lyla, mais aussi à Léo en qui il a toute confiance. Puis, une semaine plus tard, il l’a ouvert à Setsuo, Roman et Quentin. Et… quelques jours plus tard, il en a discuté avec Estelle, qui s’est créé un compte rien que pour lui. Il trouve ça adorable mais pour l’instant, il ne se sent pas d’aller plus loin. Au moins, voir quatre ou cinq cœurs par posts et autant de commentaires positifs lui fait beaucoup de bien, le booste dans son ego. Ils pensent ce qu’ils disent, il en est de plus en plus convaincu. Personne ne lui ferait autant de compliments « par pitié ».

Enfin, ce soir, le verdict tombera. Il vient d’emmener Lyla au restaurant non loin de l’appartement. Et ils rentrent tous les deux de là-bas, main dans la main. Lentement, parce que Lyla a beaucoup trop mangé – et c’est elle qui le dit. Au moins elle est ravie, et elle a très envie d’y retourner. Elle triture le collier qu’il lui a offert pour son dernier anniversaire tout en lui parlant du livre qu’elle lit en ce moment, des étoiles dans les yeux.

Et il l’écoute distraitement, un peu nerveux. Jusqu’ici, ils ont toujours visé juste, concernant les cadeaux qu’ils se sont offerts. Le roman, la boîte à compliments, ce collier avec une plume en argent, le matériel pour se filmer et partager ses œuvres. Mais ce soir… son cadeau est très spécial. Il vient vraiment du cœur, et il a hâte de voir sa réaction quand elle le verra. Là, c’est ce qu’il a de mieux à lui offrir.

Faire un vœu.

Ce soir-là, le ciel indigo est zébré d’aurores boréales, du vert le plus clair au bleu électrique. Tout autour, des centaines, des milliers d’étoiles scintillent. Et, quelque part au loin, une étoile filante se détache, plus blanche que les autres.

Plus bas sur la terre ferme, de robustes arbres se dressent, leurs feuilles se balancent doucement dans la brise nocturne. Au cœur de leur tronc, un losange lumineux brille, profondément ancré dans le bois. Ils sont précieux. Ils guident les voyageurs dans la nuit, jusqu’à l’aube.

Tout autour, des lucioles volent silencieusement, attirées par ces douces lumières.

Mais le plus impressionnant se trouve au sol. Des dizaines de petites mares parsèment l’herbe, profondes d’à peine quelques centimètres. Et dans cette eau, tout le reste se reflète à la perfection. Les lucioles, les arbres à gemmes, le météore, les étoiles, les aurores boréales. Sans que l’on puisse distinguer le haut du bas, ce paysage irréel a l’air de s’étendre à l’infini.

Dans un coin, debout sur une petite butte d’herbe, deux formes noires se tendent la main. Deux silhouettes à peine visibles, qui observent ce paysage d’un autre monde sans mot dire.

Tout comme Lyla. Absorbée, elle n’a pas prononcé un mot depuis quelques minutes.

« Ça… ça te plaît? »

Elle sort de sa transe et le fixe droit dans les yeux, la bouche entrouverte.

« Tu… t’as peint un paysage de Déjà l’aube

– Oui, c’est ça… Bon, au moins t’as reconnu…

– T’as fait ça pour moi.

– Oui. Bon anniversaire…

– Et tu me demandes vraiment si ça me plaît? Nath, c’est magnifique, elle est incroyable ! »

Il se détend pour de bon et retient un soupir de soulagement. Mais Lyla est toujours penchée sur la toile, à la scruter.

« Je suis sûre que t’as planqué plein de détails, je te connais ! Nath, ça t’a pris combien de temps de faire tout ça ? »

Il se met à rire. Si elle savait… Il y a un oiseau endormi sur une des branches, une grenouille perchée sur un rocher, une luciole à demi-cachée sous une feuille d’arbre… Elle en aura, des choses à découvrir.

« Je sais pas trop… J’ai arrêté de compter les heures. Mais j’avoue que… ça a légèrement empiété sur un projet à rendre pour ma formation. Va falloir que je cravache pour rattraper ça.

– Nath, t’aurais pas dû… C’était pas grave si tu me l’offrais en retard.

– T’inquiète pas, je vais rattraper ça, c’est rien. L’essentiel, c’est que ça te plaise. »

Elle repose la toile sur son bureau.

« Bon, je vais m’arrêter sur cette petite étoile filante, là. Oh, c’est mignon, on dirait qu’ils la regardent tous les deux…

– Ouais, c’est fait exprès.

– Bien sûr… Tu crois qu’ils sont en train de faire un vœu ? »

Il hausse les épaules, amusé. Elle pourra l’interpréter comme elle le veut.

« Tu sais quoi? Je vais mettre ça au-dessus de mon bureau. Comme ça je l’aurai très souvent sous les yeux!

– Très bonne idée… »

Puis il sort son téléphone de sa poche. Il ne faut pas traîner.

« Mais avant… faut qu’on se dépêche avant le coucher du soleil.

– Quoi, comment ça? On va encore quelque part ?

– T’aurais pas aperçu une certaine voiture blanche, dans la rue…?

– Hein? Celle de Setsuo? Tu lui as emprunté sa voiture ? Mais…

– Gagné. Allez, suis-moi. J’ai un endroit à te faire découvrir.

– T’es pas croyable… Tu cesseras jamais de me surprendre. »

Avec un sourire en coin, il fait tourner le porte-clés autour de son index.

« J’espère bien.»

C’est Léo qui lui a parlé de cet endroit, une petite plage tranquille. C’est très touristique à cette période, surtout le jour de la fête de la musique, mais ce n’est pas exactement là qu’ils se rendent. Il suffit de marcher un tout petit peu en dehors des sentiers battus, de grimper la petite butte à travers les fougères et les arbres, loin de la foule, et on arrive devant un superbe panorama. Une vue dégagée, vide de tout touriste. En plein sur les rochers, le sable, et bien sûr l’océan à perte de vue. Et le soleil… déjà presque dans l’eau. Juste à temps.

Une fois en haut, Lyla ralentit le pas, les yeux écarquillés. Il en était sûr, elle l’adore. Sans réfléchir une seconde, elle s’assoit sur l’herbe et se met à fixer l’horizon, la bouche entrouverte.

« Alors, ça valait le coup ? On a vraiment failli rater le coucher de soleil !

– Ouais, je vois ça. Je comprends mieux pourquoi t’avais réservé le resto aussi tôt. Et oui, ça vaut le coup. Bien sûr. »

Il la rejoint et sans hésitation, elle pose sa tête contre son épaule. Le voilà ici, à regarder un coucher de soleil le jour du solstice d’été, après un restaurant en tête-à-tête et lui avoir offert cette toile entièrement pensée et réalisée pour elle, tout ça pour son anniversaire. Dire qu’il se moquait gentiment du côté trop romantique de son ami Roman, il est devenu encore pire que lui.

« Te méprends pas, j’adore l’endroit et je suis très contente d’être là. Mais c’est pas aussi cool que ça en a l’air, les couchers de soleil. Ça me détruit les yeux. 

– Ah, toi aussi ? lâche-t-il en riant. Je croyais que j’étais le seul à… Oh, attends, on essaie de voir le rayon vert ? »

Ils se concentrent sur les tous derniers rayons, plus attentifs que jamais. Mais… rien.

« Bon, pas pour cette fois… »

Elle frissonne légèrement et retire sa tête de son épaule, les yeux toujours rivés sur l’horizon.

« Mais j’ai bien envie de rester encore un peu… »

Il tend la main pour saisir la sienne tout en opinant. Elle a raison. Ce serait dommage d’avoir fait toute cette route pour ne rester que quelques instants, après tout.

Et, au fil des minutes, tandis que la lumière baisse peu à peu, ils parlent à cœur ouvert. Lyla se confie à lui au sujet de cette réflexion qu’elle s’est faite récemment et il l’écoute sans l’interrompre, la gorge nouée. Il n’avait aucune idée qu’elle avait ressenti tout ça.

« Et c’est pour ça qu’aujourd’hui j’ai l’impression d’être… à la hauteur. Pour toi. Je sais que ça peut te paraître surprenant surtout que maintenant, je sais à quel point t’as du mal à prendre confiance en toi, mais… je me suis dit que ça te ferait peut-être du bien de le savoir ? Et surtout… que je suis très contente que tu sois aussi détendu avec moi, maintenant. »

Il lui frotte la main quelques secondes sans mot dire, souriant tristement. Il ne sait pas comment lui dire…

« Je… je te remercie de me dire tout ça, c’est… Excuse-moi, je sais pas trop comment réagir. Tu sais… j’ai encore un peu de mal à me sentir à la hauteur, moi. Pour toi, et pour tellement d’autres gens, et d’autres choses… Je crois que j’ai encore du mal à… à m’aimer, si on peut dire.

– Alors je t’aimerai pour deux. »

Il lâche un rire nerveux et lui serre la main un peu plus fort. Ému, il se racle la gorge pour reprendre contenance.

« Je… tu sais, par rapport à ce que tu disais, sur cette carapace de confiance que je m’étais créé… C’est vrai, à ce moment, j’essayais de m’aimer, de cette façon. Je me disais que si je m’aimais bien physiquement, alors c’était déjà ça. Que tant qu’il y avait cette couverture, je pouvais faire illusion, avoir l’air à l’aise. Et c’est vrai que parfois… ça marchait. Surtout avec mes amis, avec les gens que je connais bien. J’arrivais à… me supporter, voire aimer celui que j’étais, quand j’étais en soirée avec eux. Quand je préparais des cocktails, que je dansais ou que je racontais des blagues, et ça faisait du bien, je me sentais moi-même, libre. Mais ça durait jamais. Dès que c’était terminé, je recommençais à me déprécier, à avoir… des idées noires, parfois. Alors, même si c’est pas facile, je suis content d’avoir repris ma thérapie. Et en fait… »

Il réfléchit un instant après cette tirade. Il ne la regarde pas mais la voit dans son champ de vision, buvant ses paroles. Le silence est tellement profond, il ne l’entend même pas respirer. Il faut dire qu’elle a le souffle coupé, le temps d’une seconde.

« En fait, je crois que je m’aime encore plus quand je suis avec toi, quand je me débarrasse de cette carapace. Quand je suis vulnérable. C’est là que… j’ai vraiment l’impression d’être moi. Et j’adore cette personne que je deviens. »

Elle est suspendue à ses lèvres. Il ferme les yeux et prononce cette dernière phrase dans un souffle :

« Je te remercie tellement pour tout ça. »

Malgré l’émotion, il n’a pas envie de pleurer. Elle… si, un petit peu.

« Je sais pas quoi te dire, Nath, c’est tellement fort. Je suis contente de t’aider autant, et toi… tu m’aides aussi, tu sais. Avec tout ce que tu fais pour moi, je… je reprends confiance aussi. En moi, en toi. Et ce chemin que j’ai parcouru, que j’ai encore à parcourir… je suis contente de vivre tout ça avec toi. Je pense que t’es la meilleure personne avec qui je puisse le vivre. »

Cet instant, ce qu’elle vient de dire, il veut s’en rappeler pour toujours. Il serre fort sa main, le cœur battant à tout rompre. Il est tellement heureux de l’avoir rencontrée. Et elle serre sa main aussi, parce qu’elle pense exactement la même chose à cet instant.

« Oh, regarde ! »

Il ouvre les yeux, surpris.

« Une étoile filante ! »

Ils l’ont dit en même temps. Ils rient et Lyla se met à s’agiter.

« Waw, elle est restée longtemps ! Vite, il faut faire un vœu ! »

Elle ferme les yeux brièvement et les rouvre en poussant un soupir de soulagement.

« C’est bon ! »

Il se demande ce qu’elle a pu souhaiter. En réalité… rien de plus que de trouver la paix.

Il lève les yeux vers la Voie lactée.

« Moi…

– Non, me le dis pas ! Sinon il va pas se réaliser ! »

Il se remet à rire.

« D’accord… »

Il ne sait pas. C’est ça qu’il voulait lui dire, il ne sait pas. Sa vie va sur les bons rails, pour la première fois. Il va s’en sortir avec cette formation, avec le travail qui l’attend. Il a toujours ses amis, Estelle… Il n’a pas besoin de sa famille, quoi qu’il advienne. Et bien sûr il est avec elle, toujours.

Il la regarde. Elle est là, radieuse, avec son grand sourire, ses boucles soyeuses arrangées en chignon, ses yeux émeraude rivés sur le ciel, son sourire discret qui apparaît. C’est fou ce qu’il la trouve belle. Et il est tellement bien avec elle. 

Elle sent qu’il la fixe et se met à sourire malgré elle, sans tourner la tête. Il est avec elle. Il l’a emmenée dans cet endroit magnifique, il a peint cette toile sublime pour son anniversaire. Elle se rend compte à quel point ses standards étaient bas, avant lui. Il a élevé le niveau plus haut que jamais. Elle est tellement bien avec lui.

Il lui caresse doucement le creux de la main du bout des doigts et retourne la tête vers l’horizon. Il a beau réfléchir, il ne trouve pas. Il n’a aucun vœu à faire.

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